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LOÏC,

OU LA NOSTALGIE DES ROUTES

Chauffeur régional, Loïc connaît la route depuis ses 16 ans. Réglementations européennes, livraisons internationales devenues rares, baisse des salaires…le routier de 57 ans a assisté à la mutation d’un métier qui semble avoir perdu de son authenticité. Portrait.

ous le soleil ardent du sud de la France, Loïc descend de son camion-remorque. Arborant un bronzage digne de la région, l’homme aux cheveux grisonnants cherche son client sur le domaine viticole de Courthezon. « Je parie qu’il n’est pas là…Tu sais que cette exploitation a des cépages communs avec le domaine de Brad Pitt, le château de Miraval ? Bon Brad Pitt je m’en fous, mais je ne serais pas contre rencontrer sa femme ! » blague-t-il. Un homme chauve au tee-shirt blanc sali par la poussière sort d’un hangar. « Bonjour ! Transports Dupoux, pour une livraison de bouteilles. » signale Loïc. A la demande du cariste, Loïc recule son camion pour le décharger. Le routier râle parce que le client n’a pas dégagé sa terre : tracteurs, manitou et matériel agricole sont en plein milieu du passage. Après des mouvements de volants maîtrisés, Loïc détache sa marchandise : 24 tonnes de bouteilles en verre. « Normalement les palettes devraient être sanglées…selon la norme européenne…mais bon on ne le fait pas toujours. Si on commence à tout sangler, on s’en sort plus ! » A l’aide d’une perche, il tire une palette de 700 kilos pour que le cariste puisse les entreposer sur son manitou. « 700 kilos…pénible… » marmonne le chauffeur avant de s’expliquer : « je me suis fait 4 hernies à cause de ça. On devait m’en enlever deux, on en a découvert quatre. Le chirurgien m’a dit que c’était à force de porter des objets lourds dans de mauvaises positions. » La pénibilité du métier étant reconnue, Loïc pourra prendre son congé de fin d’activité (CFA). « Du coup je peux partir à la retraite dans un an, pour mes 57 ans. J’ai hâte… » Avec une pointe d’humour qui ne le lâche pas, l’homme a beaucoup de recul sur son métier. Quarante ans de route derrière lui. Il en « a marre ». Officiellement routier depuis 1990, mais « en réalité » chauffeur depuis ses 16 ans, l’homme aux sourire franc regrette ses débuts. « J’étais routier sur longue distance. Tu gagnes bien mieux ta vie, mais c’est plus fatiguant. »  Allant jusqu’en Hollande, Espagne, Italie ou Belgique, Loïc privilégie désormais les livraisons régionales. « J’ai décidé d’arrêter les grandes distances le jour où ma fille Julie a eu 17 ans. Je me suis rendu compte que je ne l’avais pas vu grandir. Il fallait que je sois plus présent pour mes deux autres filles. » 

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Ray-Ban sur le nez, Loïc reprend le volant. Son polo bleu laisse entrevoir un tatouage rendu illisible par le temps sur le bras droit. Autour de nous, des industries et entrepôts à pertes de vue. « Ici, ils récupèrent le bois des palettes pour en faire de la sciure. Avec les vieux pneus ils refont des routes, aussi. Toutes ces usines récupèrent les déchets des routiers en quelque sorte. Ma fille travaille ici, tu vas la voir au restaurant. » La zone ressemble à un no man’s land. Et pourtant, à midi quinze, ça fait déjà la queue pour manger chez Mme. Martin. Mariée à Loïc depuis 30 ans, Chantal dirige le Mapolitin II, un restaurant planté au beau milieu de la zone industrielle du Fournalet. Ouvert en septembre dernier, « l’entreprise roule » pour cette charmante femme aux yeux bleus qui gère les fourneaux. Julie et Pauline, les deux filles aînées de Loïc aident au service. Le père ne s’autorise pas encore de pause. Si l’homme est chauffeur la journée, il devient plongeur le midi. « Je ne viens pas souvent les aider…mais de temps en temps ça soulage ma femme. » La majorité des clients sont des travailleurs du coin, ouvriers ou hommes de bureau. « Tous les mecs de la zone ont l’habitude de se faire des sandwiches ou une gamelle. Mais de temps en temps un resto ça permet de décompresser » nuance un client, installé en terrasse.

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Au « Relais du Soleil », route de Bédarrides, « c’est trop calme. » Chantal Ponzo, la cinquantaine passée, nettoie le sol de son restaurant dont la clientèle majoritaire reste les routiers. Equipé de douches, le « Relais du Soleil » a pour habitude d’être « plein à craquer » le soir, selon Loïc. Mais ces restaurants qui servent de pause à des conducteurs longue distance ont perdu de leur substance et sont presque désertées. Chaque nuit en cabine ou chaque repas sur la route implique pour le chauffeur des indemnités journalières : « 62 euros la nuit, 16 euros le repas » pour les transports Dupoux, où Loïc officie. « Avant les frais de découcher nous était donnés en cash à l’avance. Maintenant ils sont ajoutés sur ta paye, à la fin du mois. Les routiers doivent tout avancer. De moins en moins de collègues vont au restaurant. » A entendre Loïc, le métier semble avoir beaucoup changé en 20 ans. Les directives européennes de 1992 obligent les chauffeurs à respecter des temps de pause très stricts : une pause de 45 minutes est obligatoire après 4 heures et demie de route, interdit de conduire plus de 9 heures par jour et plus de 52 heures par semaine. « C’est trop contrôlé de nos jours… Quand je faisais ça jeune, j’avais l’impression d’être libre. Sur les routes, tu mangeais quand tu voulais, tu dormais quand tu voulais. Maintenant la police t’arrête, lis ton tachygraphe* et peut te mettre un PV pour 5 minutes de pause non prises. C’était mieux avant..plus pénible mais moins strict. » 

Mets moi un sirop de citron s’il te plaît.

Accoudé au comptoir, sourire malicieux aux lèvres, Loïc se détend. 

- La journée est finie ? je demande.

- Je l’espère…


*Le chronotachygraphe est la boîte noire du camion. Sous forme de carte à puce ou de disque, elle permet à l’entreprise et à la police de lire les informations de conduite : vitesse, temps de pause, temps de chargement… 

« J’avais l’impression d’être libre »

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Loïc relie les palettes au manitou à l'aide d'une perche. © Léa De Cazo

Sous un soleil de plomb, Loïc décharge son camion © Léa De Cazo

Loïc vient de se garer sur le parking du "Relais du Soleil", parking qui a des airs de no man's land © Léa De Cazo

Pour faire le déchargement, Loïc retire les équerres qui servent à maintenir la bâche de son camion. © Léa De Cazo

Chauffeur la journée, plongeur le midi

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