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ÉRIC,

LA FORCE TRANQUILLE

Chauffeur depuis maintenant 33 ans, Éric cumule les trajets longue distance toute la semaine. Au volant du lundi au vendredi, l’homme de 56 ans sillonne les routes de France, alternant autoroutes, aires de stationnements, relais routiers et nationales. Rencontre, au péage de Remoulins, jusqu’en banlieue parisienne.

TL résonne dans la cabine du Volvo MAN 560 chevaux. Au volant, Eric, 33 ans de conduite au compteur. Il connaît le programme par de la « première radio de France » par coeur. « A 16 heures y’a les Grosses Têtes, je me régale. » Sur la route depuis 5 heures du matin, l’avignonnais d’origine s’arrête à un dépôt de carrelage à Fournes, dans le Gard. Il descend du camion, cigarette à la bouche et débâche son semi-remorque. Il est rejoint par d’autres chauffeurs, français et italiens. Eric discute facilement, le tout avec un accent du sud très marqué. Les trois routiers échangent des anecdotes sur des livraisons : « Y’a quelques années, en 20 minutes on te chargeait 4 camions sur le Port de Marseille ! Maintenant tu les vois les types, il pleut 3 gouttes ils  ne veulent plus travailler… » Selon Eric et beaucoup d’autres chauffeurs, « le métier était mieux avant. » Les livraisons en Allemagne divisée par le mur de Berlin, les heures supplémentaires payées au black, l’absence de contraintes liées au temps de conduite…le routier aux cheveux blancs a connu. Avant d’être chauffeur pour l’entreprise Dupoux, Eric a officié chez Lausier pendant presque 10 années. La livraison internationale, il connaît. Allemagne, Angleterre, Belgique… « Puis les polonais sont arrivés sur le marché, et l’inter’ a été foutu. » Arrêté sur une aire d’autoroute, Eric touille son café énergiquement avant de pointer du doigts les plaques étrangères des camions : Bulgarie, Espagne, Pologne, Hongrie… « Tu vois l’entreprise française Dantressangle ? Ils ont des bases en Pologne. Du coup, ils ont embauché des conducteurs étrangers qui font de la livraison en France. » Si les charges sociales des chauffeurs étrangers sont envoyées dans leur pays d’origine, la question du salaire vient à peine d’être soulevée par le gouvernement. A partir du 1er juillet, tous les routiers étrangers doivent être payés au SMIC français. « Pour l’instant leur patron les paye comme chez eux : 400 euros par mois. Et ils ne respectent pas les temps de pauses. Des fois ils partent à deux routiers. Un chauffeur conduit  9 heures et l’autre prend le relais pendant 9 heures. Ça mobilise deux chauffeurs mais si tu livres en Angleterre par exemple, en 1 journée c’est fait. Nous il nous faut 4 ou 5 jours… »

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Dans la station, Eric achète du Swcheppes, des madeleines et un café. Il regarde ses mails, les infos routières. En kiosque, seuls les magazines pornos ou automobiles sont en vente. « On repart ? » Au volant de son-semi, le routier d’Avignon explique qu’il a découvert le métier à 15 ans, mais a eu son permis 7 ans plus tard. « J’ai commencé cariste, puis petit à petit je suis parti sur les routes. » Son ancienneté lui permet de prendre sa retraite anticipée, appelée Congé de Fin d’Activité (CFA). « Je pourrais arrêter dans un an et demi, mais je vais sûrement continuer. Tant que mon fils est à l’école je continue. » En CAP menuiserie, son fils Maxime « ramène de bonnes notes. » Il a déjà découvert les joies du semi-remorque plus jeune mais l’adolescent n’a pas été séduit par la « liberté » qu’évoque son père. « Ceux qui sont partis à la retraite gagnent environ 1700 euros par mois. C’est pas mal mais je préfère rester. Jean-Paul paye bien. » Jean-Paul Arnaud est le directeur de l’entreprise Paul Dupoux, où Eric travaille depuis 12 ans. « Il paye toutes les heures supp’ , lui », chose qui a l’air d’être rare dans le métier où chaque minute de conduite de trop devient vite une infraction. « Avant on roulait 240 heures par mois sans problème. » En 2016, et depuis les directives européennes de 2002, les routiers ne peuvent rouler plus de 52 heures par semaine. Sinon ? « Sinon on risque des contraventions. Si tu roules entre 5 minutes et 2 heures de plus que ce que la loi t’autorise, c’est 135 euros d’amende. Et les délits de classe 5, qui concernent les pauses, peuvent aller jusqu’à 750 euros. » Le regret des anciens routiers comme Eric, c’est d’avoir vu leur liberté s’effriter peu à peu. « La liberté tu vois c’est de partir une semaine, de faire le tour de la France tranquille, de t’arrêter manger et de retrouver les collègues, de dormir dans mon camion…Même si j’ai un client à livrer et un patron à satisfaire, l’essentiel de mon travail je le fais seul. Et encore, c’était mieux il y a 20 ans… » Le chauffeur, comme beaucoup d’autres, utilise « mon » pour parler du semi-remorque dans lequel il roule. Bien que le véhicule appartienne à l’entreprise Dupoux, chaque chauffeur a son camion respectif. « Le camion d’Eric ? Il n’a qu’une couchette, il est mieux le mien ! Le mien c’est un vrai camion ! » lance Gérard, dans le garage du dépôt. Le camion devient l’arme favorite de la guerre d’égo des routiers.

"C'ÉTAIT MIEUX IL Y A VINGT ANS "

La liberté tu vois c'est de partir une semaine, de faire le tour de la France tranquille, de t'arrêter manger et retrouver tes collègues, de dormir dans mon camion...

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