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L'ENVERS

DU DÉCOR

A entendre les chauffeurs, le métier de routier est basé sur leur seule liberté et malgré eux, leur solitude. Pourtant, ils sont loin d’être seuls. Derrière eux, une équipe d’exploitants gèrent leur emploi du temps, leurs livraisons, la communication avec les clients, le transport des palettes consignées…Reportage dans l’envers du décor. 

ans les locaux de l’entreprise Paul Dupoux, Bruno, ancien chauffeur, est constamment au téléphone. Sous son nez, un planning énorme répertorie les livraisons des 50 chauffeurs sur la semaine. « Là le planning est fixé jusqu’à mercredi, mais ça bouge très souvent. » Un client annule, un autre demande une livraison express, un chauffeur est bloqué dans les bouchons et ne peut livrer à temps… Si les routiers sont en première ligne pour subir les aléas de la circulation, c’est au pôle exploitation que tout s’organise pour être le plus efficace en terme de livraisons. 

Les chauffeurs sont divisés en deux catégories : les nationaux et les régionaux. Bruno et Damien se partagent les catégories. 


Carte interactive et routiers géolocalisés


Il est à peine 8 heures et le téléphone n’arrête pas de sonner. Bruno cumule deux conversations en même temps, un Nokia collé à l’oreille gauche et le fixe à l’oreille droite. « T’as de la chance on n’a pas beaucoup de boulot aujourd’hui » commente Damien. « C’est plutôt calme en fin de mois, les clients attendent de faire leur commande le 1er pour être facturé le mois d’après. »

Au dessus du bureau trône un grand écran diffusant une carte de France, avec des icônes de camion éparpillées un peu partout. 

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« Ça nous permet de géolocaliser nos chauffeurs. On peut voir s’il suivent bien leur itinéraire, s’ils vont être à l’heure ou en retard pour leur chargement… » Sous les icônes apparaissent des numéros de plaque. « À nous de mémoriser quelle plaque va à quelle chauffeur… ça va qu’il n’y en a qu’une cinquantaine ! » ironise Damien. Les camions ne s’échangent pas entre routiers, chacun le sien. D’où l’utilisation répandue du « mon » chez les routiers, pour désigner leur véhicule. « Ils en prennent plus soin si le camion leur est attribué. » ajoute Bruno. Il clique sur un camion sur la carte : le trajet du jour s’affiche, l’amplitude de conduite, la vitesse. « On a en quelque sorte accès à la boîte noire du véhiculeMais on n’est pas là pour les fliquer, c’est juste rassurant si on doit informer le client de la situation de la circulation. » En cas de problème, les exploitants ont un plan de secours. Le B2P Web, une sorte de bourse en direct, permet de mettre en ligne des livraisons que les chauffeurs ne peuvent assurer « soit parce que le camion a un soucis, soit parce que les plannings sont déjà complets… » L’exploitant n’a plus qu’à remplir la date de livraison, l’heure, le poids du chargement, le client… « Et ça permet à d’autres sociétés de prendre la course à notre place. » Le site affiche la carte et calcule le trajet rentré. « Ils nous arrive aussi de prendre des livraisons. Regarde demain j’ai un chauffeur qui récupère des palettes à Meaux. Et là je vois qu’une société ne peut pas livrer à Luizecey. 

Comme c’est pas trop loin, on va certainement prendre le trajet. »


La crainte de l'infraction


Dans le même bureau, Laëtitia, la soeur de Bruno s’occupe des palettes. « La palette Europe c’est un long débat dans le métier, tu sais. » Consignées entre 13 et 15 euros, les palettes sont obligatoires pour soutenir la marchandise transportée. « Quand on fait un chargement, les palettes sont fournies. Mais quand on livre, le client n’a pas toujours des palettes en réserve à nous rendre, donc la consigne est à nos frais. » Laëtitia sait où se trouvent les palettes après et avant chaque livraison. « On en a 15 à récupérer sur le dépôt de Courthezon. Tu n’as pas un chauffeur qui y passe aujourd’hui ? » Bruno consulte son planning et la carte à l’écran. « Si, je vais demander à Jérôme à son retour de Marseille. » Spécialisés dans la livraison de matériel BTP et de verrerie, les transports Dupoux livrent tout l’Héxagone. « Dans la région il y a pas mal de vignobles, donc on livre beaucoup de bouteilles. C’est très rare qu’on aille à l’étranger maintenant. » Les longues distances impliquent de longs trajets, souvent bien au-delà des 9 heures réglementaires et « on est très vite en infraction. » Contrôlés par la Direction Régionale des Équipements (DRE), les entreprises de transports veillent soigneusement à ce que leurs chauffeurs respectent les temps de conduite et de

pause. A chaque fin de semaine, « mais c’est plus souvent à la fin du mois », le routier doit rendre son « tachy », la fameuse « boîte noire » du camion, au pôle exploitation. La carte détient toutes les informations de route : « ça permet de faire les fiches de paie des routiers et de vérifier leur temps de conduite. » Après 4h30 de conduite, le chauffeur est obligé de prendre 45 minutes de pause qui peuvent être fractionnées. « S’il découche, l’entreprise lui rembourse 70 euros. » 70 euros, c’est chez Paul Dupoux. En réalité, la convention fixe les frais de découcher à 62 euros la nuit, 13 euros le repas. Pour autant, les routiers ne passent pas leur nuit à l’hôtel. « Avant, les frais de découcher leur étaient donnés en cash, maintenant c’est ajouté au salaire. Mais le patron ne paye aucune taxe dessus. » Il y a cinq ans en arrière, l’actuel PDG de l’entreprise Dupoux, Jean-Paul Arnaud, couvrait de 80 euros la nuit passée en cabine. Après un contrôle de l’URSSAF, « il a été obligé de diminuer les indemnités…l’URSSAF l’accusait de déguiser des heures roulées en frais… »

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Sur l'écran au fond du bureau, le logiciel permet de géolocaliser les chauffeurs en temps réel. Bruno (à gauche), Laëtitia (au milieu) et Damien (sous l'écran) sont les exploitants qui gèrent les plannings des chauffeurs. Tout à droite, Jean-Paul arnaud, le PDG de Dupoux. © Léa De Cazo