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Trois jours de route. 1 500 kilomètres parcourus.

Et des préjugés qui s’effondrent en masse. 


Je pensais ce métier infernal. Et il l’est : jonché de sacrifices de tous ordres, sans horaires, aux semaines interminables, mal payé, stressant comme pas un, aux semaines ruinant les organismes les mieux constitués. Mais cette semaine d’immersion m’a permis de me rendre compte que ce métier est plus souvent l'expression d'une passion pour un mode de vie : nomade, marginal, mais avec la technologie sophistiquée des tracteurs surpuissants pour véhicule. Lorsqu'ils prennent la route avec leurs bulldozers carénés pour rouler, ils entendent cette expression au premier degré : « la route est à nous… » Et elle l’est. Dans leur cabine haute de plusieurs mètres, le routier développe un orgueil sans limites. Il est le patron du bitume, le roi de la signalisation, le pionnier des lignes droites, l’as du volant. 


Sur trois jours de route, j’ai passé deux nuits en cabine. Soit 8 heures de sommeil en 48 heures. Le camion d’Éric ne contenant qu’une couchette, je me suis organisé un lit de fortune entre le siège et le frigo de la cabine. C’était inconfortable, mais on passe. Le plus impressionnant est de voir ces hommes développer une concentration routinière de 4 heures du matin à 17 heures. Bien que des temps de pauses leur soient aujourd’hui imposés, ces hommes enchaînent 9 heures de conduite par jour et n’ont pas de lit douillet dans lequel se glisser le soir, simplement une couchette fine dans une cabine dans laquelle ils ont déjà passé la journée. Mais quand on leur demande s’ils aiment ce qu’ils font, s’ils ont hâte de partir à la retraite, la plupart sont enchantés de leur métier et ne veulent le quitter pour rien au monde. Je me souviens d’un trajet avec Éric, on écoutait RTL, comme à son habitude. Le journaliste Stéphane Carpentier dédiait son journal à la pénibilité du travail. Il évoquait le travail de nuit. Une routière, Cécile, appelle et explique ses conditions difficiles de conductrice de nuit. Le journaliste affirme que 3,5 millions de français sont concernés. Eric ne semblait pas dérangé de travailler la nuit : « Il y a des chauffeurs pénibles. ils veulent partir du lundi au vendredi. Faire du 7h-17h. Si tu veux des horaires de bureau faut pas faire ce métier… » cela semble acquis que les routiers sont destinés à faire des heures difficiles, des semaines loin du foyer.


Au long de mon immersion, j’ai également été frappée du manque de femmes au volant. Sur 50 chauffeurs, aucune femme n’officie chez Paul Dupoux. En revanche, tous les relais routiers dans lesquels on s’est arrêtés étaient gérés par des femmes. Des femmes marquées par le temps, la tradition familiale de reprendre le restaurant. Des femmes habituées à ces hommes, à leur humour, à leur langage, à leur repas habituel. Et pendant tout mon reportage, je n’ai pas eu droit à une seule remarque sexiste de leur part. Des regards entendus oui, comme dans le métro lyonnais. Pas de paroles déplacées, d'humour lourd, ou des compliments déguisés. Je suis satisfaite d’avoir démonté ces clichés qui veulent que ce métier soit fait par des hommes idiots, machos, pervers. J’ai découvert des hommes polis, souriants, presque toujours de bonne humeur, amoureux de leur métier… Ce qui me frappe le plus, c’est l’univers très prolétaire qui tourne autour. Les relais dans lesquels les routiers viennent se restaurer et se doucher sont vieux, fréquentés, mais pas assez pour vivre dignement. Si la xénophobie s’est de plus en plus développé dans la profession, c’est surement dû à la mutation que le métier a connu après l’arrivée en masse de conducteurs étrangers qui constituent une concurrence non négligeable. 


J’ai découvert un métier oublié. Un métier dont la représentation médiatique ne se résume qu’aux mouvements de grève ou aux « opérations escargot. » Un métier dont l’objectif final est d’acheminer tous nos produits de consommation, un métier dont la France ne peut se passer, un métier que la France néglige sur tous les plans.

Léa De Cazo


Apprentie Journaliste

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